jeudi 18 juillet 2013

« Letiket » de Gaston Valayden

Répétition de « Letiket » de Gaston Valayden

Ce soir 18 juillet 2013


Marsel Poinen vient me chercher pour assister à la répétition d’une pièce « letiket ». Ecrite en créole par Gaston Valayden il en assure le rôle principal.  Marsel est à la mise en scène. Comme breton, français, venu 6 fois dans l’Océan Indien, je comprends le kreol globalement et je peux dire quelques phrases courantes. Par contre, comme Marsel m’a parlé de plusieurs autres de ses projets « sur le feu », je ne sais pas bien lequel est le sujet de cette pièce… D’autres personnes ; journalistes, chanteuse, responsable d’ONG sont là.
D’emblée, je suis satisfait de m’apercevoir que je comprends la majorité des phrases qui sont prononcées. Cependant, j’ai parfois du mal à les restituer dans l’ensemble de ce qui est en train de se dire, d’autant plus que, petit rappel, j’ignore le sujet exact de la pièce. Je ne vais pas la raconter, mais je vais essayer de traduire mon état d’esprit et ma compréhension personnelle de ce que je vois se dérouler devant moi.

La répétition de la pièce commence.

J’entends d’abord un bruit de foule comme dans une manifestation de rue, puis un orchestre joue, mais selon les courts extraits, les styles changent : sega mauricien, rai, chinois… Un chanteur – je crois reconnaître la voix de Marsel – chante une chanson « kreol » accompagné d’un piano qui soulignera certaines actions de la pièce.  Dommage que la chanson soit si courte. J’aurais aimé qu’elle m’ouvre des voies de compréhension de ce que je vais voir. Les bruits de la foule en colère reprennent et un homme seul et visiblement inquiet et méfiant semble se frayer un chemin à travers elle pour ne pas se laisser absorber par cette masse qui vocifère. J’ai même l’impression qu’il va à contre-courant de la multitude et que cela ne se passe pas sans problèmes et sans insultes de part et d’autre. Il arrive enfin à se réfugier chez lui, « dan so lakaz », et quand il referme la porte c’est le silence. Sur la gauche de la scène un élément du décor figure une fenêtre. Il peut en soulever les rideaux ou ouvrir le côté, mais alors cris et insultes reprennent avec la foule et trois protagonistes qui profèrent des insultes que je ne comprends pas bien. « Ferm to labous » (ferme ta gueule !) répond l’homme sur scène.
Il commence alors un long monologue  en posant plusieurs fois, très habilement,  au public les questions universelles : qui sommes-nous ? Qui est-il ? Que faisons-nous là ? Que fait-il de sa vie ? Quel but a-t-elle ? Pourquoi tout cela ? A quoi cela sert-il ? Pourquoi lui, Javasouryen Gaetansamy a-t-il un prénom qui renvoie à la religion catholique alors que son nom est d’origine hindou ?
Alors pour s’échapper de ce dilemme, pour se sentir bien dans son corps et dans sa tête, il se réfugie chez lui, il s’y enferme plus exactement. Et, il y a le mur ! Ce mur qui a tant d’importance pour lui, car il le sépare des autres ; des spectateurs et de tous ceux qui hurlent contre lui. Mais il suffit qu’il ose rouvrir sa fenêtre pour que  les insultes se remettent à pleuvoir de l’extérieur et qu’il y réponde avec la même agressivité…
Chez lui, il peut tout comme un Dieu tout puissant, il voit, tout, il sait tout, il peut tout. Il peut même traverser les murs ! Pouvez-vous le faire ? Vous ? Et vous ? A ce stade de la pièce, je me demande si ce qui se joue sous mes yeux  n’est pas l’histoire d’un paranoïaque : un homme qui se vit persécuté par les autres jusqu’à l’hallucination mais se croit aussi un esprit supérieur aux autres à cause de cela. C’est la question que  Javasouryen Gaetansamy se pose aussi. Est-ce fou de penser tout cela ?  Non, bien sûr, puisqu’il a un certificat  psychiatrique qui le prouve. Tous les tests passés l’ont démontré : il est normal et sain d’esprit.

L’homme normal et le psy

Et voilà l’acteur jouant sa consultation chez le psy en tenant successivement les deux rôles.
Je remarque que les seuls mots prononcés en français, en articulant et en prononçant les « r » en exagération, sont ceux dits par ce psychiatre en enguirlandant cet homme normal qui ose se comporter simplement comme un homme mais qui se dit capable de traverser la « miray ». « Voyez-vous cela ! Et comment faites-vous ce qu’un homme normal ne peut pas faire ? »
Il n’est pas doué ce psychiatre pour que Javasouryen Gaetansamy lui-même lui explique que, être capable de traverser le mur n’est pas une affaire de réalité ou de don mais d’imagination !
« C’est donc évident que vous êtes un humain normal puisque vous êtes capable de penser et d’imaginer » déclare le psychiatre très satisfait de son diagnostic et il lui délivre le fameux certificat.
Mais être considéré comme un être normal et sain par le corps médical psychiatrique ne résout pas le problème : celui du poids de son histoire personnelle et de l’histoire de son pays. Il se sent partagées entre des valeurs différentes véhiculées par ses deux parents d’origine ethnique différente. Comment trouver une unité dans tout cela ?

Les murailles

Avant ! Entendez « avant l’indépendance » de Maurice, son pays, l’unité venait de la royauté anglaise. Mais maintenant, chacun veut avoir raison en fonction de son groupe ethnique ou religieux. Chacun défend son Dieu unique ou meilleur ou plus capable que le Dieu unique de l’autre qu’il tourne en ridicule… Et voilà que l’unique cour où tous les enfants jouaient ensemble se divise. Des « miray » sont dressées réduisant l’espace de liberté. Chaque enfant ne peut jouer qu’entre les « miray » que leurs propres parents ont dressées et seulement avec les enfants de leur groupe d’appartenance. Il faut respecter « letiket » qu’ils ont donné et chacun ne peut plus penser qu’en fonction de celle-ci, fixée définitivement par eux. Il devient interdit de penser simplement en homme normal qui veut exercer son droit d’homme libre de faire preuve de jugement personnel et d’imagination.

L’engagement politique

Que reste-t-il pour s’en sortir ? Le M.I.L.I.T.A.N.T.I.S.M.E. Javasouryen Gaetansamy  devient un militant politique : extrême droite, extrême gauche ou autres extrêmes. Cela ne résout  pas son problème : être un homme libre capable de penser librement, simplement comme un homme libre appartenant au monde universel des hommes libres qui n’ont pas obligatoirement à penser comme « letiket » l’exige.

Letiket mortifère

Cela serait possible, s’il n’y avait pas les autres, les parents, les camarades d’enfance avec qui l’ont jouaient sans soucis mais qui maintenant respectent « letiket » donnée à la naissance. Certains la suivent aveuglément jusqu’à être capables de donner la mort à ceux qui ne pensent pas comme eux, ceux qui ne portent pas la même « letiket » à cause de leur appartenance ethnique ou religieuse ou, comme Javasouryen Gaetansamy, qui veulent simplement vivre comme des hommes libres, capables d’imaginer et de réaliser le monde fraternel qu’ils souhaitent.
On l’aura compris, cela se finit très mal. Le happening est pessimiste, comme s’il n’y avait aucun espoir pour la réalisation possible de ces aspirations légitimes, comme si « letiket » arrivait toujours à dominer en opprimant les hommes.

L’homme universel et libre

On ne peut s’empêcher de penser à la situation mauricienne, c’est le sens premier de la pièce. Mais la valeur d’un auteur se mesure a sa capacité de dépasser l’anecdote pour atteindre l’universel. La problématique de Javasouryen Gaetansamy est celle de tous, jeunes ou vieux, qui, actuellement, se battent contre les étiquettes, ethniques ou religieuses, que l’on veut leur coller sur la conscience, quelque soit le pays ou la religion où cela se passe.
La croyance religieuse, l’idée d’un Dieu unique, est un dévoiement de la poésie, de l’imagination, de l’explication que l’homme peut se donner à lui-même dans ce vaste monde qui le dépasse. Malheureusement,  parfois, le propre de ceux qui défendent « leur » étiquette, semble être de vouloir l’imposer aux autres. Leur croyance est construite sur une incohérence paranoïde et mortifère « Tous les hommes sont mes frères. Ils sont libres de penser ce qu’ils veulent  et je dois les respecter, mais Mon Dieu est un Dieu Unique et tout-puissant et, de ce fait, s’impose à tous les hommes… A part traverser la « miray » comment pouvez-vous sortir de cette incohérence ? Et qui est ce « vous » qui est pris dans ce piège ?

Ma finale

Personnellement, je trouve la fin très pessimiste car elle ne laisse pas de place à l’espoir. J’aurais bien vu, une forme de clin d’œil aux jeux électroniques dans lesquels les joueurs gagnent ou perdent des vies. En final, Javasouryen Gaetansamy  se relèverait comme un automate pendant que résonnerait un « game over ». Même si cela ajoutait à l’idée de mort celle de manipulation, de jeu et de robotisation, je la trouverais cependant moins pessimiste…

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