Me voilà à l'agence Air France.
Les guichets des classes touristes étant tous occupés, l'hôtesse de la classe affaire/business me fait signe de venir. Je raconte ma mésaventure et je vois une étincelle brillée dans son œil quand je lui parle de Rodrigues. Elle confirme : pas de passeport, pas de voyage !
Je lui dis pourtant qu'en 1993, je suis passé sans passeport en Pologne. Facile ?! Il ne faut pas perdre ses bonnes habitudes. Le mur de Berlin venait de tomber en 1990. Heureusement que notre groupe était attendu pour un voyage d'études. Il n'a pas fallu moins d'une heure de négociation laborieuse à la frontière tchéco polonaise. Le groupe aussi menaça de faire un sit-in (avec un bull) pour que les douaniers tchèques qui ne parlaient ni anglais, ni français et ne baragouinaient, comme nous que quelques rares mots d'allemands, acceptent de téléphoner à leur homologues polonais, que ceux-ci se renseignent et que l'on nous autorise à passer… Mais à quoi servent donc les frontières sinon à emmerder les pauvres et honorables voyageurs en donnant du boulot à quelques douaniers ?
J'ai commencé à écrire ces quelques lignes sur le sac qui a servi à emballer mon casse-croûte du midi. 2 Euros 50 pour un petit pain, qui ne dépasse pas le creux de ma main, avec quelques bouts de jambon blanc et quelques pignons
Évelyne vient juste de me téléphoner. Toutes les solutions envisageables pour faire parvenir le passeport par d'autres moyens ayant échouées, elle prend le train qui arrive ici à 21 h 46. Elle n'a pas voulu que je me déplace moi-même, pour ne pas avoir à re-trimballer mes bagages m'a-t-elle dit. Pourtant demain une grande partie du personnel de la SNCF est en grève. Comment va-t-elle repartir et comment allons-nous passer la nuit ? "Ta femme doit bien t'aimer pour faire cela" me dira quelqu'un à qui je raconte mon aventure. Pardon mon amour s'il m'est, hélas, arrivé d'en douter.
Mais revenons à Roissy et à l'agence Air France. J'accepte, mais comment faire autrement, la proposition commerciale qu'elle me fait de repousser d'un jour mon voyage. Moyennant finances évidemment !
Le billet a été pris depuis longtemps et bénéficiait donc de prix avantageux. De plus, il y a une pénalité pour "avion ratée" : 100 euros ! Je me vois d'abord crouler sous l'avalanche des minuscules sandwiches que je pourrais me payer pour ce prix-là. Mais tous comptes bien faits, cela n'en fait guère qu'un carton d'une quarantaine.
Comme il faut refaire totalement les billets, ce sont les prix actuels qui vont être pris en compte : soit 380 Euros de plus…. Puis, elle s'aperçoit que dans ces calculs, le retour Rodrigues Maurice est bien prévu, mais que l'aller ne l'est pas. Je lui montre le billet que j'ai en supplément. Oui ! Mais c'est un biller Air Mauritius et non plus Air France, donc en théorie, elle ne peut le modifier. Explication de texte : je voulais faire Maurice Rodrigues en bateau quand le premier billet a été pris, mais personne alors, ne savait les jours de rotation des bateaux. Quand je l'ai su, ce fut pour constater que le bateau partait pour Rodrigues un jour avant que je n'arrive à Maurice et que le suivant n'était programmé que pour début juillet. Aussitôt Évelyne avait téléphoné à l'agence pour faire ajouter un aller supplémentaire par avion à Rodrigues.
C'est en téléphonant à sa collègue d'Air Mauritius que je comprends l'étincelle dans ses yeux à l'évocation du nom de Rodrigues. Elle y a fait un séjour avant l'agrandissement de l'aéroport et n'en garde qu'un très bon souvenir. "Maurice c'est pas mal, mouais, mais Rodrigues… ! C'est un souvenir inoubliable." Malgré cet enthousiasme, cela ne l'empêche pas de soulever un autre problème : le changement donne lieu, là encore à une taxe de 10,20 euros, 4 sandwiches seulement ! Je redonne donc ma carte bancaire dont je ne devais pas me servir... en théorie… !
Y a-t-il une boite de formation qui recherche un formateur compétent et surtout organisé pour que je comble le déficit pécuniaire que va provoquer mon oubli ?
Mon histoire m'en rappelle une autre, celle de Jacques : Frère Jacques comme nous l'appelions. Où nous étions-nous rencontrés ? à Rodrigues, bien évidemment, chez Benoît et Antoinette Jolicœur, à la Résidence Foulsafat. Lui faisait une formation sur l'économie aux responsables des collèges de Rodrigues et moi, le CRAC Anti Drug Group m'avait demandé pour faire une formation sur les addictions et la vidéothérapie aux infirmiers qui travaillent au centre Le Paille en Queue et qui font le suivi des malades au dispensaire de Saint Gabriel ou à domicile.
Il me raconta qu'un jour, ayant à faire une formation dans une île, il avait oublié tout son dossier en France. Très ennuyé, il téléphone alors à sa femme qui lui répond qu'un bon formateur doit être capable de faire une formation sans aucun papier. À cause de cet oubli, Frère Jacques sut, ce jour-là, qu'il était devenu un bon formateur. Faut-il en plus oublié son passeport pour être un bon formateur ? Bref, dès mon retour en septembre, je suis disponible.
Petit détail pratique : ayant fini de noircir d'encre de stylo mon sac de sandwiches, je me sers des rares pages blanches de mon mode d'emploi de caméscope. Me voici donc sur les consignes écrites en caractères grecs. J'ai fait, lors de mes "humanités", 4 années d'études du Grec ancien. J'essaie de retrouver le sens des mots : c'est agréable et bizarre à la fois. Si les caractères sont exactement les mêmes, je crois que la prononciation de certaines voyelles a changé dans le Grec moderne. J'ai toujours préféré la culture grecque à la culture latine. Je viens de dévorer le roman "Alexandre" que Roger m'a passé et j'y ai retrouvé des rappels à cette histoire que je traduisais avec difficultés dans ma jeunesse.
Comme je suppose qu'Évelyne avait d'autres soucis en tête que celui de prévenir les amis de Rodrigues, je téléphone à Karenn, notre fille, pour qu'elle leur envoie un message courriel. C'est Christian, son mari, que j'ai le premier en ligne. Bien sûr cela le fait rire ! Bien sûr qu'il le cache un peu au début mais il finit par me dire en riant qu'il va leur tourner un mail "à sa façon". Karenn lui succède au téléphone parce que leurs grands enfants sont à "s'entretuer" et qu'il y a besoin de l'autorité paternelle pour y mettre bon ordre. Elle me demande, ironiquement, si ce n'est pas un acte manqué. Merci ma grande fille !
Même si je peux admettre cette hypothèse de psychanalysette, il reste à savoir quel sens lui donner. Quel sens dois-je aussi donner au fait qu'Évelyne n'a pas voulu sous prétexte de poids de bagages que je reprenne le train pour venir rechercher mon passeport. C'est elle qui vient me l'apporter malgré le fait que demain c'est grève à la SNCF. A-t-elle autant que cela le souhait de me voir partir ou a-t-elle peur que si je reviens chercher mon passeport, je ne veuille plus repartir ? Comment et quand va-t-elle pouvoir repartir ? Quelqu'un m'a dit : "Tu as de la chance d'avoir une femme comme elle !! " Je comprends en sous-entendu "à sa place je ne le ferai pas"
"Promis mon amour, je ne recommencerai plus jamais, jamais !"
Mais je crois que j'avais déjà dit la même chose à mon retour de Pologne. Cette année-là, voyant mon passeport étalé et bien visible sur mon bureau, alors que j'étais censé aller en Pologne à Cracovie, en faisant un détour près de Lyon auparavant, pour participer à un congrès sur la vidéothérapie, elle avait pensé plein de choses peu agréables… de celles que l'on peut imaginer dans ces cas-là, quand l'inquiétude devient plus forte que la raison.
Je ne devais donc rejoindre le groupe de travailleurs sociaux nantais qu'à Paris. De là, je lui téléphone donc "en mari bien intentionné" pour prendre de ses nouvelles. Mais je me fais incendié, comme dirait le chef des pompiers, car j'aurais dû prendre contact avant de partir avec nos amis alsaciens et je ne l'avais pas fait puis, sans autre explication, elle me raccroche au nez. Je ne comprends rien à la raison de sa fureur, sauf à me dire qu'à cette époque-là encore, elle n'aimait pas quand nous étions séparés.
Ce n'est qu'au milieu de l'Allemagne, dont nous avions passé la frontière en pleine nuit et sans aucun contrôle que je m'aperçois que je n'ai pas pris mon passeport. Les autres sont justement en train de parler passeport et je leur dis calmement : "eh bien, moi, j'ai oublié mon passeport à la maison !" Les autres ne manifestent que peu de réactions. Me croient-ils ? L'entrée de la Tchécoslovaquie, devenue depuis Tchéquie, au petit matin, se fait aussi sans s'arrêter. Vive l'Europe et son influence pour la libre circulation des personnes aux frontières ! Ce n'est qu'à la frontière polonaise que les autres vont comprendre que je ne blaguais pas.
Quand je vous dis que je suis un voyageur dangereux et à éviter, me croirez-vous ?
Je suis donc venu à la gare SNCF pour attendre Évelyne en espérant avoir confirmation des horaires d'arrivée que je ne suis pas sûr d'avoir bien compris. Mais je ne peux descendre au niveau des quais par l'ascenseur, car il est interdit de le prendre avec les chariots sous les fallacieux prétexte de "dangerosité" sur les voies, alors que tous les autres ascenseurs de l'aéroport sont autorisés. Je retiens donc, pour mon information que les chariots de la SNCF, que je vois de l'endroit où je suis, sont, eux, sécurisés.
Ayant quelques envies pressantes que l'on ne peut satisfaire que dans la solitude de quelques lieux soigneusement aseptisés, je cherche les toilettes. Elles sont à l'étage inférieur, niveau TGV, mais ou bien j'abandonne mon chariot, ou bien je retourne vers le terminal F. Je choisis l'aéroport, cela aura l'avantage de me faire faire de la marche, seul sport autorisé dans cette enceinte. C'est ce moment que choisissent Benoît et Antoinette pour me téléphoner en me demandant où je suis. Leur question est bizarre puisqu'ils savent que je devrais être dans l'avion. Je leur demande s'ils sont au courant de ma mésaventure, mais ils restent évasifs et Benoît me dit qu'ils viennent juste de rentrer chez eux. Je leur raconte alors mon oubli et mes déboires. Eux qui sont allés m'attendre un jour plus tôt à l'aéroport Sir Gaétan Duval de Plaine Corail, vont devoir aller me chercher un jour plus tard que prévu. Ils finissent cependant par avouer qu'ils avaient bien eu un message de Karenn et Christian mais que celui-ci était tourné de telle façon qu'ils ont cru que c'était une blague.
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