dimanche 20 juillet 2008

Ballade dans la vallée au-dessus de Grand-Baie

dimanche 13 juillet :

matin :



David se bat toujours avec MSN pour installer la nouvelle version. Les temps de téléchargement et d'installation sont longs et cela aboutit plusieurs fois à un échec. Il y parvient enfin.

Antoinette demande alors de l'aide pour faire les samousas qui serviront pour la réception du 14 juillet à l'Alliance Française. Il y a 200 petits paquets à faire. Les petites bandes rectangulaires de galette ont été achetées, Antoinette a préparé une purée et taillé des cubes de Cheddar. David délaye dans un bol de la farine dans de l'eau pour bien coller les bandes de pâte. Sans grumeau, s'il vous plait ! Le tout doit avoir une forme de triangle emmailloté avec art. Un samousa n'est donc pas autre chose qu'un origami comestible. Le coup de main pris, les petits paquets s'accumulant peu à peu, les deux garçons s'étant mis aussi à la tâche, non sans certaines réticences, c'est à quatre que nous "samousassisons" et que nous "origamisons". Je comprends mieux qu'Antoinette ait demandé de l'aide dans ce long travail ! Les petits plaisirs de la vie demande parfois de longs et fastidieux préparatifs
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après-midi :


roches à fleur de sol et silhouette de vacoas (pandanus)

Après la sieste et la mise à jour de mon blog, alors qu'une partie de la famille est partie s'occuper de l'organisation de l'ordination du 15 août, je décide d'aller me promener à la recherche de ma roche idéale. Je prévois des passages difficiles et je prends au pied les chaussures de marche qu'Antoinette m'a proposé après avoir lu dans mon blog que j'avais dû, pour cause d'excès de poids, abandonné les miennes chez moi. Je prends la direction de la montagne vers Syguanges. Un chemin, avec des raccourcis à travers les collines que je parcourais souvent en 1999. Beaucoup de constructions nouvelles, beaucoup de nouveaux piquants loulou partout, font que je ne retrouve pas les raccourcis ou bien qu'ils ont simplement disparus. Qu'importe, je passe par le chemin plus long mais plus sûr. Plus haut, à flanc de collines, une personne fait brûler des détritus. Elle m'appelle et me demande si Bertrand est à la maison. Je reconnais Samy, son oncle, le farceur qui offre toujours des cadeaux drôles aux anniversaires. Pour Audrey cela avait été une panoplie d'infirmières et pour Fred, une panoplie de petits bricoleurs et perceuses, scie et tournevis en plastique.

Quelques minutes de discussion avec lui et au village suivant, c'est un groupe de quatre adultes rodriguais qui me saluent. Ils sont assis sur un talus "kot lacaze", les pieds dans le fossé qui borde la route, une bouteille "divin" et une bouteille "labière" entre leurs pieds sont entamées. Ce type de situation est fréquent dans les villages : une façon de s'égayer et de tuer le temps en égaillant des "cadavres" en verre. Manifestement, ils veulent me parler. Je m'arrête et l'un d'eux me demandent si je le reconnais. Je n'ai qu'une hypothèse. Il commence en trébuchant sur les mots. "Mo, in allé Mont Lubin, dans centre de formation à l'alco … à l'alcoo … à l'alcooli … " Pour éviter d'entendre le mot "alcoolisme" qui a du mal à sortir, je complète pour lui : "à l'alcoologie". Toute formation comporte des échecs et doit être sans cesse une remise en cause des savoirs acquis. Le futur diplômé, tout heureux d'être reconnu, a encore beaucoup de travail à faire. Il me demande si je veux boire "divin". Tout profane que je suis, je refuse gentiment et je demande le chemin de la maison de Jean-Paul, l'un des animateurs du CRAC anti drug group. Je sais qu'il habite tout près d'ici. Tout le monde tente de me dire où c'est et l'un d'eux s'offre même de m'accompagner. Je décline la proposition, mais cette situation est fréquente aussi à Rodrigues, vous êtes étranger, vous êtes perdu, on vous accompagne pour vous montrer le chemin.

Juste à la sortie, en haut du village, je suis maintenant sur une route goudronnée et une spectacle insolite me fait penser à une scène de film. Une grosse voiture, qui n'est pas un 4X4, véhicule le plus communément rencontré dans l'île, est stationnée sur le bas côté. Cinq jeunes gens, bien endimanchés, l'air "sérié", semblent surveiller, en silence, le village en contrebas. Il ne manque que les Borsalinos. J'imagine, car c'est pure imagination, que ce sont de petits caïds en embuscade. Un groupe de jeunes femmes essaient de discuter avec eux. Le conducteur répond à peine à leurs criardes questions. Quand je les croise, aucun ne répondra à mon salut. Dans ma lente ascension, ils font me doubler et je vais les retrouver plus haut, toujours en attente sur le bas côté de la route mais, cette fois-ci, ceux qui sont à l'arrière sont affalés sur leur siège et semblent dormir : même mutisme à mon salut. Rouler, s'arrêter, regarder, somnoler : pour certains, c'est une autre façon de tuer le temps à Rodrigues.

Dans un virage de la route, en contrebas, un homme défriche entre les roches. Quelques échanges de mots, je reprends mon chemin et, quelques dizaines de mètres plus haut, je crois apercevoir un cabri mort, écrasé au milieu de la route. Je retourne le signaler au défricheur que cela n'étonne pas. Il sait. Je crois comprendre que c'est un chien qui a tué le cabri. Je lui dis qu'il faudrait le mettre sur le bord de la route pour éviter qu'il s'aplatisse comme une galette au passage des voitures. Je joins le geste à la parole, cela le fait rire franchement et il ajoute qu'on devrait le "signaler" mais qui et à qui ? Au passage, je vais comprendre que ce n'est pas un jeune cabri mais bien un chien noir, aux pattes élancées. Je comprends mieux l'indifférence de mon interlocuteur. Les chiens sont trop nombreux à Rodrigues ! Celui-ci, par contre, n'est pas du même type que les autres. Il est noir, de la couleur de certains cabris, alors que la très grande majorité des chiens est de race royal bourbon de couleur jaune paille à jaune pâle. Il n'y a encore ni mouche ni trace de décomposition sur la blessure du chien, je le saisis par l'une de ses oreilles et le traîne dans l'herbe du bas côté.

Arrivé à l'endroit que l'on m'a signalé, il y a bien "ène lacaze" qui pourrait correspondre à ce que je m'imagine de la maison de Jean-Paul, mais il ne semble y avoir personne à l'intérieur. Je continue mon chemin. Si les maisons sont un peu plus nombreuses, le paysage reste le même et n'a pas fondamentalement changé. Par contre, les cultures sont beaucoup plus développées dans les collines. Les terrains qui, dans mes séjours précédents, n'étaient que des espaces herbeux et non entretenus sont devenus des champs plantés de maïs ou de manioc. C'est le meilleur moyen de lutter contre les acacias qui envahissent progressivement les collines. Partout on les coupe ou on les déracine mais les moyens utilisés sont insuffisants et la lutte inégale à mon avis.

J'ai encore au moins un kilomètre avant d'arriver à Syguanges où je connais bien la maison de Jean-Noël, le responsable du Crac anti drug group. Le vent des alizés ici monte de la vallée de Grand Baie et souffle très fort. Le soleil commence à décliner et je décide de redescendre, non pas par la route, ce serait trop simple, mais en coupant à travers champs dans la vallée. Je sais que cela présente une certaine dangerosité, je sais qu'il y a des falaises, mais je sais aussi qu'on peut le faire en suivant les innombrables sentiers tracés dans les collines.

Les premiers temps de la descente se font sans problème à travers les champs de pié maï ou de manioc, puis ce sont les champs où paissent les vaches. Une petite ferme est nichée là dans la verdure. Aucune route goudronnée n'y mène, seul les chemins que j'emprunte semble la desservir, à moins qu'il n'y ait un accès plus facile de l'autre côté de la vallée. Je continue ma descente vers les bosquets qui me barre complètement le passage vers Grand Baie. Les petits champs sont bien entretenus et je ne vois pas trace de pieds d'acacias. Pour ne pas se tromper suivre les chemins empruntés par les animaux en montagne, même s'ils paraissent ne pas suivre la ligne droite trop citadine, ils mènent plus sûrement quelque part. Cependant ce quelque part peut-être un champ sans autre issue. C'est ce qui m'arrive. Plus je scrute la profondeur des bosquets touffus, plus je vois de pente raide, d'éboulis de roches et de falaises et moins je vois de traces de passage d'animaux. Je rebrousse chemin. En redressant la tête, après être passé sous un arbuste bas, j'entends quelqu'un parler vers le haut de la colline. Ce doit être le propriétaire des lieux qui m'observent. Je lui réponds. Il rappelle ses chiens qui aboient et veulent venir vers moi.





C'est un grand bonhomme aux cheveux gris et à l'air débonnaire. Il est plus âgé que moi. Je vais vers lui pour lui demander mon chemin. Grand Baie ou Baie aux Anglais ? Je ne pense pas avoir parlé de Baie aux Anglais. Je précise que je veux aller à Grand Baie en lui demandant si on peut y aller par la gauche de la vallée. Il me dit que le plus facile est de prendre la route, un peu plus haut, mais je lui réponds que je viens de la faire et que je veux passer à travers la colline. Lui pencherait alors pour y aller par la droite, mais quand je lui précise que je veux aller voir Gustave Bégué, un grand sourire éclaire son visage et il me dit qu'on peut y aller par la droite en suivant le chemin.

Le chemin à Rodrigues est un terme très vague car il y en a des milliers qui parcourt l'île en tout sens à travers les collines. J'ai le tort de vouloir suivre la falaise de trop près, dans le sous-bois et plusieurs fois je rebrousse chemin devant un à pic couvert d'une végétation dense. Les piquants loulou commencent à apparaître dans la falaise. Qui pourrait se risquer à aller les couper ? Brusquement je me trouve à découvert et je comprends la raison de ma difficulté à passer. La vallée entière qui se rétrécit progressivement, aboutit à l'à pic d'une cascade que je connais pour l'avoir vu, la première fois en 1990. Cependant, ma connaissance de cette cascade que j'ai toujours vue à sec se limite à la vision par le bas. Je ne l'ai jamais contemplée d'en haut. La vue est magnifique et j'entends, pour la première fois, un filet d'eau qui tombe de la falaise. Il est trop tard et il fait trop sombre pour que je prenne une photo avec mon caméscope aux capacités limitées.


Progressivement le noir s'installe et pourtant le soleil n'est pas couché, il est seulement caché par le sommet de la montagne. Comme le petit prince je le vois plusieurs fois se lever au-dessus de la colline puis disparaître en fonction de mon chemin. Je me presse pour ne pas me laisser surprendre par la nuit, comme le triste soir de 1999, où je me suis perdu dans la montagne. Maintenant la vue est dégagée sur la vallée de Grand Baie et j'aperçois distinctement la ferme des parents Bégué. Il n'y a aucun doute et aucune erreur possible mais pour y aller, sans connaître les lieux, ce serait de l'imprudence totale.

Je remonte donc la colline et j'arrive enfin dans un village que je connais et sur le chemin que je connais. Cette fois-ci, je retrouve avec plaisir le raccourci que j'empruntais souvent. Les débuts sont faciles à travers les champs où paissent placidement les vaches attachées à leur corde. Mais, oubliant bêtement toutes précautions, je veux couper à travers un champs souverte d'une herbe haute en passant facilement sous une clôture. Je l'ai fait autrefois. Je me maudis aussitôt ! Il faut suivre les chemins des animaux et ne jamais en déroger ! Les herbes sont pleines de branches de piquants loulou coupées et séchées. Il n'en reste pas moins que c'est dangereux, que je suis incapable de me fier au relief plein de trou, je rebrousse chemin aussitôt. Pour trouver un passage, je suis la clôture en me disant que c'est praticable puisque quelqu'un l'a fait ce chemin pour poser cette clôture. Heureusement pour moi, je retrouve un chemin large et souvent parcouru et quelques cent mètres plus loin, je vois une première lacaze, puis une seconde, je connais ce chemin. Je suis juste au-dessus de Jean Tac et je n'ai plus qu'à suivre le chemin pour arriver à la Résidence Foulsafat.

En passant, Ruben qui démarre sa voiture et me dit bonsoir. Je ne l'ai pas reconnu dans le noir. Je sais donc à peu près où est sa maison maintenant.

Quand j'arrive dans la cuisine, Benoît prépare le repas du soir pour les clients. Ce sera samousas en apéritif, rillettes de cochon, et bouillon de poisson. Deux jeunes couples sont là ce soir. Tous les quatre travaillent depuis plus ou moins longtemps à la Réunion : un couple de jeunes médecins et un couple dont l'un est dans la construction et l'autre institutrice.

Benoît est à discuter avec une personne avec qui il a fait le film "Babie". Il me le présente comme étant le fils de Benjamin Gontran, la figure rodriguaise populaire, gardienne de la tradition, animateur de groupe et écrivain. Son livre " 'Sir' Ben…raconte Rodrigues", ZM Edisyon, 2007 est à mettre dans toutes les mains des passionnés de son île. Nous discutons, vidéo, films américains et techniques de montages.





Au cours de la conversation, en dégustant petit verre de Bordeaux et rillettes faites par Benoît, il dit à Benoît que son séjour en France a finalement été annulé sans qu'il sache pourquoi. Il devait se rendre à Brest 2008, comme il l'avait fait pour Brest 2002. Brest 2002 ! J'y étais aussi, j'avais fait le chemin de Nort sur Erdre à Brest avec Jennifer Pierre-Louis, une infirmière de Rodrigues, en stage de formation dans notre département.



J'y avais rencontré une personne qui devait travailler dans un hôtel à Rodrigues et qui accompagnait les rameurs des deux pirogues rodriguaises. Benoît, soudain intéressé, relève sa tête du plat qu'il prépare. Je cherche à me souvenir du nom de la personne que j'avais déjà rencontré à Rodrigues et avec qui j'avais discuté alors. "Percy ?" demande Benoît. "C'est cela !". Dans un grand éclat de rire Benoît s'exclame, "Mais c'est lui-là, c'est Percy !… " Nous nous regardons étonnés, je ne l'avais pas reconnu
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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu l'adores ce coin là la nuit !!!!

Unknown a dit…

Oui et non !
En 1999, je me suis égaré justement parce que j'avais peur de m'y retrouver. Si je n'avais pas eu cette peur qui ne se justifiait pas comme j'ai pu le constater, je n'aurai pas naviguer vers l'Ouest de ma route, alors que Grand Baie se trouvait plein Sud Est. Moi, je devais marcher plein Est, mais, sans boussolle et surtout avec mes lunettes perdues... ce fut une vraie et dangereuse galère. Merci de remuer ainsi la plaie autour du couteau.